Déploiement de l’espace par le temps

Déploiement de l’espace par le temps

J’expose ici une réflexion personnelle issue de lectures sur les liens entre temps et espace; afin d’essayer de mieux appréhender la nature de ces deux contenants fondamentaux.

Bibliographie:
Les tactiques de Chronos,
de: Etienne Klein
édition: Champs Flammarion
ISBN: 2-0808-0105-8

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I. Déploiement de l’espace et du temps dans les mythologies de la création

Pour les religions anciennes, y compris le judaïsme, le cosmos n’a pas été créé à partir de rien. Pour la Chine ancienne, le monde a toujours été là. Pour l’hindouisme, le monde est éternel, et il passe par des phases cycliques. Après une période d’expansion, il se résorbe insensiblement. Puis à partir d’un « reste », il resurgit sous l’action des divinités.

Mais cette manière de concevoir le monde comme éternel ou cyclique reste l’exception. Dans la plupart des récits mythologiques, l’univers provient non pas d’un « rien », mais d’un « pré-univers » qui lui donne naissance, avec l’aide des dieux. Dans la Bible (cf Genèse 1), ce pré-univers, on l’appelle le « tohu-bohu », la « ténèbre » et l’« Océan primordial ».

Ce pré-univers, ni la Bible ni les récits théologiques ne disent d’où il vient. Peut-être a-t-il toujours existé.

Et ce qui est frappant, c’est que, pour raconter de quelle manière s’enfante notre univers à partir de ce pré-univers, les récits mythologiques recourent à des métaphores et des scénarios qui se retrouvent d’une religion à l’autre.

D’après : http://castelg.club.fr/M7.htm

Selon les mythes grecs et hindouistes, au début de la création, l’espace n’existait pas alors que la création oui. C’est encore un exemple de pré-univers qui donne naissance à l’univers qu’on connaît. Lorsqu’on dit que la création existe, cela entend que la matière (l’énergie) existe.

Selon les grecs, le ciel recouvrait Gaïa (la Terre) qui l’avait enfanté et il lui collait à la peau, en maintenant sur elle une nuit continuelle. Gaïa se trouvait grosse de toute une série d’enfants qui restaient logés là où Ouranos les a conçus. Nul espace entre Ouranos et Gaïa ne permet à leurs enfants de voir la lumière (mais ils existent, dans la durée).

Et dans la mythologie grecque, on retrouve cette idée d’un écart (ou d’un espace) nécessaire dans le chaos primordial pour qu’apparaisse notre monde. A l’intérieur du chaos primordial apparaît une première différenciation entre Ouranos, le ciel, et Gaïa, la terre. Mais Ouranos continue à « couvrir » (au sens sexuel et spatial) incessamment Gaïa et de ce fait rien ne peut advenir à l’existence. Et c’est pourquoi le titan Cronos va émasculer Ouranos pour qu’il y ait un écart entre lui et Gaïa.

D’après : http://castelg.club.fr/M7.htm

Selon les Brahmanas, au commencement les eaux créatrices existaient seules. Elles procréèrent et en elles un œuf d’or se développa. Le temps n’existait pas alors mais l’œuf flotta pendant une année (donc la durée existe).

L’oeuf est une réalité pré-existante à la terre, et aussi un lieu de gestation des divinités. L’oeuf, lorsqu’il s’ouvre, libère un souffle qui suscite le déploiement de la grande vie cosmique. Ainsi pour la pensée védique, c’est d’un oeuf que naquit, de lui-même, Brahma (ancien nom de Prajapati), l’ancêtre de tous les mondes.

De même, pour l’ancienne mythologie shinto du Japon, le chaos primitif ressemblait à un oeuf qui devait être déchiré pour que le monde puisse advenir. On retrouve une conception comparable au Tibet : les éléments principaux de l’univers procèdent d’un oeuf. Même image aussi dans les peuplades africaines. Chez les Dogons, l’oeuf primordial produit des jumeaux dont l’un sort prématurément, ce qui explique l’imperfection et l’impureté de notre monde. L’Egypte évoque la vibration (ou le souffle) interne à l’oeuf primordial et qui donne le branle au cosmos. Et les premiers versets de la Bible présentent aussi « l’Esprit de Dieu » comme un souffle qui volette au-dessus des eaux originelles comme un oiseau au-dessus de l’oeuf qu’il couve. Et l’univers serait né de la « couvade », par l’Esprit, d’un pré-univers antérieur : une sorte d’océan primordial et de « tohu-bohu » primitif (cf Genèse 1,2) . Et cette image de la « couvade » se retrouve aussi dans les textes védiques.

D’après : http://castelg.club.fr/M7.htm

Dans ces deux conceptions de la création, le temps est inexistant au « début » bien que la création elle-même existe et perdure, repliée en son propre sein. La durée et le temps sont donc envisagés comme deux choses distinctes.

Dans la vision grecque, Kronos, dernier conçu de Gaïa la libère, permettant la séparation du ciel et de la Terre. Il crée un espace libre. Kronos est le dieu du temps et donne libre cours à Chronos, le temps qui s’écoule. C’est donc bien le temps qui permet l’espace.

Dans la vision hindouiste, c’est Prajapati qui créa la Terre, l’Espace et le ciel, après être apparu de l’œuf qui l’a mis en gestation durant l’année d’attente. Là à nouveau on a émergence de la création par apparition de l’espace, alors que la mère de la création pré-existait.

 

Note sur les mythologies Hindouistes :

Les mythes cosmogoniques y sont fort nombreux: tantôt le monde est représenté comme issu du corps d’un être arthropomorphique gigantesque, Purusha, offert en sacrifice et découpé par les dieux; tantôt la création de l’univers est attribuée, sous des formes diverses, à un démiurge nommé Prajapati, qui fait sortir successivement de lui-même tous les êtres; tantôt enfin les légendes hindoues rapportent que l’Univers au début ne se composait que d’eau, et que le monde terrestre y naquit soit d’une motte de glèbe qui s’y forma, soit d’un neuf doré qui apparut tout d’un coup, et d’où sortit le créateur Prajapati.

D’après : http://www.cosmovisions.com/$IndeReligion.htm

II. Liens entre espace et temps ; dépliement de l’espace

1. Différence entre temps et durée

 

Comme le suggèrent les mythologies de la création grecques et hindouistes, la durée et le temps apparaissent comme deux objets différents. Sans que cela soit une preuve de quoi que ce soit, c’est une base de travail intéressante. Les mythologies passées sont en effet basées sur des connaissances perdues (anciennes civilisations humaines de plus grande technologie, contacts et enseignements par des êtres plus « évolués » : extraterrestres ?) transformées en romance et modifiées avec le temps; et leur trouver un point commun c’est retrouver les points véridiques de leurs racines.

L’existence de la matière, contenue dans un cadre spatial, est une existence dans la durée. Conceptualiser l’arrêt du temps, c’est imaginer que les mouvements cessent mais l’univers ne cesse pas d’exister. Lorsque nous imaginons une hypothétique machine à arrêter le temps, elle affecte seulement les transformations de la matière dans l’espace ; mais elle implique l’existence de la matière immobile dans la durée. Intuitivement, le temps qui s’écoule et permet le mouvement et l’existence de la matière qui perdue malgré l’immobilité sont deux choses là aussi distinctes.

On peut envisager la durée comme étant une énergie permettant l’existence elle-même… comme le souffle créateur de Dieu qui maintient l’altérité de la matière.

Le temps quant à lui est l’expression de la séparation de la matière dans l’espace…qui permet donc la transformation de cette matière.

2. Temps et dépliement de l’espace

 

Le temps s’exprime par la création d’espace, il déplie l’espace.

Si on opte pour cette vision, c’est la matière qui pré-existe, qui est l’objet fondamental. La matière n’est pas plongée dans un cadre spatial à trois dimensions pré-existant ; c’est l’inverse. Les physiciens considèrent qu’en dehors de l’univers, il n’existe pas d’espace, car l’espace est une structure, même lorsqu’il est absolument vide. L’espace, par sa structure possède donc de l’énergie, parce qu’il existe, et comme il n’y a nulle existence en dehors de l’univers ; selon les physiciens, l’espace n’existe pas en dehors. Il n’y a pas du vide au-delà, car le vide c’est de l’espace, mais rien du tout! Le concept d’espace vu par la physique est donc bien assimilable à une forme d’énergie. L’espace vide est donc empli d’énergie : celle qui lui donne sa structure étendue.

Le temps est l’espace qui s’insère dans la matière et lui permet d’être séparée. C’est cette séparation qui autorise la transformation. En effet si l’espace ne sépare pas la matière, alors elle n’est qu’un magma sans localisation. Les interactions de la matière avec elle même ne sont pas visibles, puisqu’elle se présente comme une bouillie informe.

On peut imaginer la matière comme un ballon de baudruche dégonflé et ratatiné sur lui-même : la matière existe, mais sans localisation ; enfermée en son sein. On peut à la limite la supposer centrée sur un point mathématique, sans épaisseur.

Puis le temps est apparu : il est cette énergie qui gonfle le ballon et l’étire. Si les particules de matière sont représentées comme des grains à la surface du ballon, qui sont au départ fusionnées spatialement (en fait qui existent sans espace) ; l’énergie fournie par le temps permet la séparation de ces petits grains qui s’éloignent les uns des autres au fur et à mesure du gonflage. On peut imaginer aussi un gonflage des petits grains de matière qui se dilateraient en plus de s’éloigner les uns des autres : le temps donne de la consistance et du volume à l’univers, il fait « monter la mayonnaise ».

Voilà une image aisée du déploiement de l’espace par le temps.

 

III. L’Illusion de l’univers

 

  1. Le temps projette la matière dans l’espace

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Tout ceci renforce l’idée d’une structure projective de l’univers. On peut imaginer la matière comme existant en dehors de l’espace, concentrée en un point sans dimension. La matière se projette dans la bulle d’espace et de temps qui constitue l’univers réel et observable par nos sens. Le temps prend alors la place d’une lampe puissante qui serait centrée dans ce point adimensionnel contenant toute la matière, et qui projetterait les « images » de la matière tout autour.

 

L’univers tel qu’on le connaît devient alors une illusion. La réalité est informe et en dehors de l’espace. Ainsi au lieu de « mettre de l’espace dans la matière », on projette la matière dans l’espace… mais cela reste en quelque sorte virtuel.

 

Il n’y a pas d’ « écran de cinéma » absolu sur lequel on projette ce « film » de matière. L’écran est une « tranche-bulle » d’univers observé ; et notre conscience est un écran en ce sens ; puisqu’elle observe l’univers projeté.

 

L’illusion est celle de la séparation. La matière existe dans la durée, sans espace ; mais la projection de la matière par cette « source de lumière » fait un effet de loupe, qui crée l’espacement. Alors on peut observer les transformations de la matière ; puisque nous-mêmes existons séparément de l’observé : il devient observable. Mais qu’est-ce qui dure vraiment ? La transformation ? L’espace ? Non, ce qui perdure, c’est la matière, qui existe en dehors de ces concepts. Le temps lui-même n’est qu’un projecteur géant. Ce qui perdure, c’est la matière, et elle perdure sans temps. On voit alors que la notion de durée est liée à celle d’existence alors que le temps n’est que le moyen d’observer les transformations par le dépliement de l’espace.

 

Tout ceci fait penser au Mythe de la caverne de Platon ; dans lequel les hommes ne voient que l’illusion de la réalité, en fait les ombres du monde extérieur projetées par un feu sur les parois de la caverne dans laquelle ils vivent.

 

« Assurément de tels hommes n’attribueront de réalité qu’aux ombres des objets fabriqués. Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement si on les délivre de leurs chaînes et qu’on les guérisse de leur ignorance. Qu’on
détache l’un de ces prisonniers, qu’on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements, il souffrira et l’éblouissement l’empêchera de distinguer ces objets dont tout à l’heure il voyait les ombres. Que crois-tu donc qu’il répondra si quelqu’un lui vient dire qu’il n’a vu jusqu’alors que de vains fantômes, mais qu’à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l’oblige à force de questions, à dire ce que c’est ? Ne penses-tu pas qu’il sera embarrassé, et que les ombres qu’il voyait tout à l’heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu’on lui montre maintenant ?
Et si on le force à regarder la lumière elle même, ses yeux n’en seront-ils pas blessés? N’en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu’il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu’on lui montre? »

extrait de la République – Livre VII, Platon

 

  1. Univers non localisé et physique quantique

 

L’absence de localisation de la matière est une idée en parfaite adéquation avec les préceptes de la physique quantique pour laquelle l’univers entier est décrit par une unique fonction d’onde.

En mécanique quantique, chaque particule élémentaire est décrite par une fonction d’onde; et lorsque deux particules interagissent (collision, ou autre type d’échange) elles sont alors décrites par une nouvelle fonction d’onde unique; mais ne peuvent plus être décrites par une fonction d’onde séparée pour chacune.

Lorsque les particules ont interagi, même si elles s’éloignent à des millions de kilomètres l’une de l’autre, elles restent décrites par cette fonction d’onde unique; et tout effet sur une particule (mesure quelconque, interaction quelconque) produit par le biais de cette fonction d’onde, une effet instantané sur l’autre. C’est le problème de la non localisation de la matière, qui avait été soulevé par Einstein qui voyait là une contradiction avec le fait qu’une information ne peut pas aller plus vite que la lumière, donc ne peut pas se propager instantanément…. pourtant la physique quantique lui a donné tort. Il faut se référer à l’expérience EPR pour cela.

 

Pour tenter de clarifier cela, on peut imaginer un bocal à poissons rouges contenant un unique poisson filmé par deux caméras, une face au bocal et l’autre sur le côté. L’ensemble de cette installation est caché par un paravent et les seules informations dont dispose le spectateur sont deux écrans directement reliés à chaque caméra. En regardant les deux écrans côte à côte, on pourrait croire que l’on observe deux poissons. Mais si l’on regarde de plus près cependant, on commence à remarquer qu’il y a une sorte de connexion entre eux. Lorsque l’un tourne, l’autre aussi. Lorsque l’un fait face, l’autre présente son coté, et ainsi de suite. Ne connaissant pas la situation réelle, on peut raisonnablement en tirer la conclusion que les deux poissons communiquent instantanément. Mais c’est une illusion.

 

Dans la théorie du big-bang qui est adoptée majoritairement aujourd’hui (bien que des éléments tendent à ne pas la confirmer malgré tout…), toute la matière a été issue d’une explosion originelle. Donc toute la matière était en interaction avec elle-même à ses débuts: l’univers entier est donc décrit par une fonction d’onde unique. Ainsi une action sur une partie de l’univers, sur une quelconque de ses particules a des répercussions instantanées sur l’ensemble de toutes les autres particules de l’univers.

On voit bien dans cette conception que la localisation n’a plus de sens; la notion d’espace semble abolie pour la matière qui communique instantanément avec elle-même. Le modèle que je propose de matière existant en dehors de l’espace est bien cohérent avec cette idée.

  1. Univers holographique

 » Il n’existe qu’un seul courant, qu’une seule respiration, toutes choses sont en sympathie. L’organisme entier et chaque partie de cet organisme travaillent à la conjonction d’un même dessein…

Le grand principe s’étend jusqu’aux régions les plus lointaines, et des régions les plus lointaines retourne au grand principe qui est une seule nature, êtres vivants ou objets inanimés. » C. Jung

Selon certains physiciens, comme David Bohm; grand spécialiste quanticien mondialement connu (et aujourd’hui décécdé); l’univers entier est un énorme hologramme.

C’est aussi ce monde que décrit la théorie de l’univers holographique de Karl Pribram, selon lequel la matière et ses « paquets d’énergie » résulteraient de champs d’interférences. De ce point de vue, notre réalité serait comparable à un hologramme. Un hologramme qui ne serait pas seulement fait de lumière comme les hologrammes de la technologie humaine, mais un hologramme fait de matière…

D’après: http://www.syti.net/Hologramme.html

Cela signifie que chaque morceau de l’univers renferme les informations contenues dans l’ensemble de l’univers, qui n’est alors qu’une projection géante de chacune de ses parties.
Comme le poisson du bocal, notre réalité physique et notre perception de l’univers ne sont donc qu’une gigantesque projection holographique qui cache le fait que toute l’existence est un réseau en forme de toile, une matrice comprenant le temps, l’espace et tout niveau de réalité.

[…]

Les théories de Pribram et de David Bohm portent un regard neuf sur le monde: nos cerveaux construiraient une réalité « concrète » irréelle et la réalité objective n’existerait pas.

Concevoir l’univers comme un hologramme c’est dire que l’espace est une illusion créée par effet holographique; mais n’existe pas en soi. On peut imaginer comme le disent Pribam et Bohm que c’est notre cerveau (ou notre conscience) qui organise l’espace en fonction de ses observations; alors que l’espace n’existe pas.

En conclusion, la non existence de l’espace et la non localisation ne sont pas des concepts nouveaux … On peut associer cette illusion spatiale à la nature du temps.

Tout ce qui sort du cadre du conventionnel