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Pour permettre de présenter les travaux importants de Gustave Le Bon à propos des sujets décrits, voici le début de son livre sur l'évolution de la matière; la partie qui présente tout le livre.
C'est un scan du livre par Gallica avec reconnaissance de caractères. Comme la reconnaissance marche de façon non parfaite, j'ai dû retoucher le texte à la main, c'était long; ça a pris une partie de l'après-midi avec la remis en forme en largeur du texte.
Mais ça vaut le coup, pour présenter ses idées et j'espère que ça vous incitera à télécharger les livres du message précédent chez Gallica.
Extrait du début de "L'évolution de la matière:"
Citation | Introduction
Ce livre est consacré à l'étude de l'évolution de la matière, c'est-à-dire de l'élément fondamental des choses, du substratum des mondes et des êtres qui vivent à leur surface.
Il représente la synthèse des recherches expérimentales que nous avons publiées pendant huit ans dans de nombreux mémoires. Elles ont eu pour conséquence de montrer l'insuffisance de certains principes scientifiques fondamentaux, sur lesquels l'édifice de nos connaissances physiques et chimiques repose.
Suivant une doctrine qui semblait établie pour toujours et dont l'édification avait demandé un siècle de persévérant travail, alors que toutes les choses de l'Univers étaient condamnées à périr, deux éléments seuls, la matière et l'énergie, échappaient à cette loi fatale. Sans cesse ils se transformaient, mais en restant indestructibles et par conséquent immortels.
Les faits mis en évidence par nos recherches aussibien que par celles qui en furent la suite, montrent que, contrairement à ces croyances, la matière n'est pas éternelle et peut s'évanouir sans retour. Ils prouvent également que l'atome est le réservoir d'une énergie jadis insoupçonnée, bien qu'elle dépasse par son immensité les forces que nous connaissons et qu'elle soit peut-être l'origine de la plupart des autres, l'électricité et la chaleur solaire notamment. Ils révèlent enfin qu'entre le monde du pondérable et celui de l'impondérable, considérés jusqu'ici comme profondément séparés, existe un monde intermédiaire.
Pendant plusieurs années je fus seul à défendre ces idées. Elles ont fini par s'imposer pourtant lorsque de nombreux physiciens eurent retrouvé par des voies diverses les faits que j'avais signalés, principalement ceux qui démontrent l'universalité de la dissociation de la matière. Ce fut surtout la découverte du radium, très postérieure à mes premières recherches, qui fixa l'attention sur ces questions.
Que le lecteur ne se laisse pas effrayer parla hardiesse de quelques-unes des vues qui seront exposées ici. Des faits d'expériences les appuieront toujours. C'est en les prenant pour guides que nous avons essayé de pénétrer dans des régions ignorées où il fallait s'orienter à travers de profondes ténèbres. Ces ténèbres ne se dissipent pas en un jour, c'est pourquoi celui qui essaie de jalonner une route nouvelle au prix de rudes efforts est bien rarement appelé à contempler les horizons où elle peut conduire.
Ce n'est pas sans un long travail ni sans de lourdes dépenses que les faits rassemblés dans cet ouvrage furent établis*.
*. Pour rendre plus facile la lecture de cet ouvrage, les détails des expériences ont été réunis à la fin du volume. Ils en forment la seconde partie. Toutes les figures explicatives de mes expériences ont été dessinées ou photographiées par mon dévoué préparateur, M. F. Michaux. Je lui exprime mes remerciements pour son assistance journalière à mon laboratoire pendant les longues années qu'ont duré mes recherches. Je dois aussi de vifs remerciements a mon ami E. Sénéchal dontles connaissances en mathématiques m'ont été souvent précieuses. J'adresse les mêmes remerciements à l'éminent professeur D. Swelshauvers-Dery, membre correspondant de l'institut, qui a bien voulu revoir mes calculs et toutes les épreuves de ce volume.
Si je n'ai pas encore rallié les suffrages de tous les savants et si j'ai irrité nombre d'entre eux en montrant la fragilité de dogmes qui possédaient l'autorité de vérités révélées, j'ai rencontré du moins de vaillants défenseurs parmi des physiciens éminents, et mes recherches en ont provoqué beaucoup d'autres. On ne peut demander davantage, surtout lorsqu'on touche à des principes dont quelques-uns étaient considérés comme inébranlables. Ce n'est pas une vérité éphémère qu'exprimait le grand Lamarck quand il disait : « Quelques difficultés qu'il y ait à découvrir des vérités nouvelles, il s'en trouve encore de plus grandes à les faire reconnaître».
Je posséderais d'ailleurs une bien faible dose de philosophie si je restais surpris des attaques de plusieurs physiciens, de l'exaspération d'un certain nombre de braves gens et surtout du silence de la plupart des savants qui ont utilisé mes expériences.
Les dieux et les dogmes ne périssent pas en un jour. Essayer de prouver que les atomes de tous les corps que l'on croyait éternels, ne le sont pas, heurtait toutes les idées reçues. Tacher de montrer que la matière considérée jadis comme inerte est un réservoir d'une énergie colossale, source probable de la plupart des forces de l'univers, devait choquer plus d'idées encore. Des démonstrations de cette sorte touchant aux racines mêmes de nos connaissances, et ébranlant des édifices scientifiques séculaires, sont généralement accueillies par l'irritation ou le silence jusqu'au jour où, ayant été refaites en détail par les nombreux chercheurs dont l'attention fut éveillée, elles sont devenues si éparpillées et si banales qu'il est presque impossible d'indiquer leur initiateur.
I1 importe peu, en réalité, que celui qui a semé ne récolte pas. Il suffit que la récolte grandisse. De toutes les occupations qui peuvent remplir les heures si brèves de la vie, nulle ne vaut peut-être la recherche de vérités ignorées, l'ouverture de sentiers nouveaux dans l'inconnu immense dont nous sommes enveloppés.
LIVRE PREMIER
LES IDÉES NOUVELLES SUR LA MATIÈRE
CHAPITRE PREMIER
La théorie de l'énergie intra-atomique et de l'évanouissement de la matière.
§ 1. - LES IDÉES ACTUELLES SUR LA DISSOCIATION DE LA MATIÈRE.
Le dogme de l'indestructibilité de la matière est du très petit nombre de ceux que la science moderne avait reçus de la science antique sans y rien changer. Depuis le grand poète romain Lucrèce, qui en faisait l'élément Fondamental de son système philosophique, jusqu'à l'immortel Lavoisier, qui l'appuya sur des hases considérées comme éternelles, ce dogme sacré n'avait subi aucune atteinte et nul ne songeait à le contester.
Nous verrons dans cet ouvrage comment il a été attaqué. Sa chute fut préparée par toute une série de découvertes antérieures qui ne semblaient pas le concerner: rayons cathodiques, rayons X, émissions des corps radio-aclifs, etc.. ont fourni les armes destinées à l'ébranler. Il fut plus atteint encore, dès que j'eus prouvé que des phénomènes considérés d'abord comme particuliers à quelques corps exceptionnels, tels que l'uranium, pouvaient être observés sur tous les corps de la nature.
Les faits prouvant que l'atome est susceptible d'une dissociation apte à le conduire à des formes où il a perdu toutes ses qualités matérielles sont aujourd'hui très nombreux. Parmi les plus importants il faut noter l'émission par tous les corps de particules animées d'une immense vitesse, capables de rendre l'air conducteur de l'électricité, de traverser les obstacles et d'être déviées par un champ magnétique. Aucune des forces actuellement connues ne pouvant produire de tels effets et, en particulier, l'émission de particules dont la vitesse approche de celle de la lumière, il était évident que l'on se trouvait en présence de choses complètement inconnues. Plusieurs théories furent présentées pour les expliquer. Une seule, celle de la dissociation des atomes — que j'ai proposée dès l'origine de ces recherches — a résisté à toutes les critiques et pour cette raison est à peu près universellement adoptée maintenant.
Plusieurs années se sont écoulées depuis que j'ai expérimentalement prouvé, pour la première fois, que les phénomènes observés dans les corps dits radioaclifs, tels que l'uranium — le seul corps de cette espèce alors connu — pouvaient être observés sur tous les corps de la nature, et n'étaient explicables que par la dissociation des atomes de ces corps.
L'aptitude de la matière à se désagréger en émettant des effluves de particules analogues à celles des rayons cathodiques, animées d'une vitesse de l'ordre de celle de la lumière et capables de traverser les substances matérielles, est universelle. La lumière frappant une substance quelconque, une lampe qui brûle, des réactions chimiques fort diverses, une décharge électrique, etc., provoquent l'apparition de ces effluves. Les corps dits radio-actifs, comme l'uranium ou le radium, ne font que présenter à un haut degré un phénomène que toute matière possède à un degré quelconque.
Lorsque je formulai pour la première fois cette généralisation en l'appuyant d'expériences pourtant fort précises, elle ne frappa à peu près personne. Il ne se rencontra dans le monde entier qu'un seul physicien, le savant professeur de Heen qui en saisit la portée et l'adopta après en avoir vérifié la parfaite exactitude.
Les expériences étant trop probantes pour permettre de longues contestations, la doctrine de la dissociation universelle de la matière finit par triompher. La lumière est faite aujourd'hui et peu de physiciens nient que cette dissociation do la matière —cette radio-activité comme on dit maintenant — soit un phénomène universel aussi répandu dans l'univers que la chaleur ou la lumière.
On trouve aujourd'hui de la radio-activité à peu près partout. Dans un travail récent, le professeur J.-J, Thomson a montré son existence dans la plupart des corps, l'eau, le sable, l'argile, la brique, etc. Il en a retiré une « émanation » qui se produit d'une façon continue, analogue à celle provenant des corps radio-actifs tels que le radium et jouissant des mêmes propriétés.
Que devient la matière en se dissociant? Peut-on supposer que les atomes en se désagrégeant ne font que se diviser en parties plus petites formant ainsi une simple poussière d'atomes? Nous verrons qu'il n'en est rien et que la matière qui se dissocie se dématérialise en passant par des phases successives qui lui font perdre graduellement ses qualités de matière jusqu'à ce qu'elle soit finalement retournée à l'éther impondérable d'où elle semble issue.
Après avoir reconnu que les atomes peuvent se dissocier, il fallait rechercher où ils puisent l'immense quantité d'énergie nécessaire pour lancer dans l'espace des particules avec une vitesse de Tordre de celle de la lumière.
L'explicalion était en réalité assez simple puisqu'il suffisait de constater, comme j'ai essayé de le montrer, que loin d'être une chose inerte capable seulement de restituer l'énergie qui lui a été artificiellement fournie, la matière est un réservoir énorme d'énergie —l'énergie intra-atomique.
Mais une telle doctrine heurtait trop de principes scientifiques fondamentaux séculaircment établis pour être immédiatement admise et avant qu'on l'acceptât diverses hypothèses furent successivement proposées.
Habitués à considérer comme des vérités absolues les principes rigides de la thermodynamique, persuadés qu'un système matériel isolé ne peut posséder d'autre énergie que celle qui lui a d'abord été fournie du dehors, la plupart des physiciens persistèrent longtemps, et quelques-uns persistent encore, à rechercher à l'extérieur les sources de l'énergie manifestée pendant la dissociation de la matière. Naturellement ils ne la trouvèrent pas, puisqu'elle est dans la matière même et non extérieure à elle.
La réalité de cette forme nouvelle d'énergie, de cette énergie intra-atomique dont nous n'avons cessé d'affirmer l'existence depuis l'origine de nos recherches, ne s'appuie nullement sur la théorie, mais sur des faits d'expérience. Bien qu'ignorée jusqu'alors elle est la plus puissante des forces connues, et probablement, suivant nous, l'origine de la plupart des autres. Son existence si contestée d'abord est de plus en plus acceptée aujourd'hui.
Des recherches expérimentales que nous avons exposées en divers mémoires et qui seront résumées dans cet ouvrage se dégagent les propositions suivantes:
1° La matière supposée jadis indestructible s'évanouit lentement par la dissociation continuelle des atomes qui la composent.
2° Les produits de la dématérialisalion des atomes constituent des substances intermédiaires par leurs propriétés entre les corps pondérables et l'éther impondérable, c'est-à-dire entre deux mondes considérés jusqu'ici comme profondément séparés.
3° La matière, jadis envisagée comme inerte et ne pouvant restituer que l'énergie qu'on lui a d'abord fournie, est au contraire un colossal réservoir d'énergie — l'énergie intra-alomique — qu'elle peut dépenser sans rien emprunter au dehors.
4° C'est de l'énergie intra-atomique qui se manifeste pendant la dissociation de la matière que résultent la plupart des forces de l'univers, l'électricité et la chaleur solaire notamment.
C'est à l'examen de ces propositions diverses qu'une grande partie de cet ouvrage sera réservée. Admettons qu'elles soient établies et recherchons dès maintenant les changements qu'elles entraînent dans notre conception générale de la mécanique de l'univers. Le lecteur pourra ainsi se rendre compte de l'intérêt que présentent les problèmes à l'étude desquels ce volume est consacré.
§ 2. - LA MATIERE ET LA FORCE.
Le problème de la nature de la matière et de la force est un de ceux qui ont le plus exercé la sagacité des savants et des philosophes. Sa solution complète a toujours échappé parce qu'elle implique en réalité la connaissance, inaccessible encore, de la raison première des choses. Les recherches que nous exposerons ne sauraient donc permettre de résoudre entièrement cette grande question. Elles conduisent cependant à une conception de la matière et de l'énergie fort différente de celle qui a cours aujourd'hui.
Lorsque nous étudierons la structure de l'atome, nous arriverons à cette conclusion qu'il est un immense réservoir d'énergie uniquement constitué par un système d'éléments impondérables maintenus en équilibre par les rotations, attractions et répulsions des parties qui le composent. De cet équilibre résultent les propriétés matérielles des corps telles que le poids, la forme et l'apparente permanence.
Cette conception conduit à considérer la matière comme une variété de l'énergie. Aux formes déjà connues de l'énergie : chaleur, lumière, etc., il faut en ajouter une autre, la matière ou énergie intra-atomique. Elle est caractérisée par sa colossale grandeur et son accumulation considérable sous un très faible volume.
Il découle des énoncés précédents, qu'en dissociant des atomes on ne fait que donner à la variété d'énergie nommée matière une forme différente, telle que l'électricité ou la lumière, par exemple.
Nous essaierons de nous rendre compte des formes sous lesquelles l'énergie intra-alomique peut être condensée dans l'atome, mais l'existence du fait lui-même a beaucoup plus d'importance que les théories qu'il fait naître. Sans prétendre donner la définition si vainement cherchée de l'énergie, nous nous bornerons à faire remarquer que toute phénoménalité n'est qu'une transformation d'équilibre. Lorsque les transformations d'équilibre sont rapides, nous les nommons électricité, chaleur, lumière, etc.; lorsque les changements d'équilibre sont plus lents, nous leur donnons le nom de matière. Pour aller plus loin, il faut pénétrer dans la région des hypothèses et admettre, avec plusieurs physiciens, que les éléments dont l'ensemble est représenté par les forces en équilibre dans l'atome, sont constitués par des tourbillons formés au sein de l'éther. Ces tourbillons possèdent une individualité, supposée jadis éternelle, mais que, maintenant, nous savons n'être qu'éphémère. L'individualité disparait et le tourbillon se dissout dans l'éther dès que les forces qui maintiennent son existence cessent d'agir.
Les équilibres de ces éléments dont l'ensemble constitue un atome peuvent être comparés à ceux qui maintiennent les astres dans leurs orbites. Dès qu'ils sont troublés, des énergies considérables se manifestent, comme elles se manifesteraient si la terre ou un astre quelconque était brusquement arrêté en sa course.
De telles perturbations dans les systèmes planétaires atomiques peuvent se réaliser, soit sans raison apparente, comme pour les corps très radio-actifs lorsque, par des causes diverses, ils sont arrivés à un certain degré d'instabilité, soit artificiellement, comme pour les corps ordinaires, quand ils sont soumis à l'influence d'excitants divers : chaleur,lumière, etc. Ces excitants agissent alors comme l'étincelle sur une masse de poudre, c'est-à-dire en libérant des quantités d'énergie fort supérieures à la cause très légère qui a déterminé leur libération.
Et comme l'énergie condensée dans l'atome est en quantité immense, il en résulte qu'à une perte extrêmement faible de matière correspond la création d'une quantité énorme d'énergie.
En nous plaçant à ce point de vue, nous pouvons dire des diverses formes de l'énergie résultant de la dissociation des éléments matériels, telles que la chaleur,l'électricité, la lumière, etc., qu'elles représentent les dernières étapes que revêt la matière avant sa disparition dans l'éther.
Si, étendant ces notions, nous voulions les appliquer aux-différences que présentent les divers corps simples qu'étudie la chimie, nous dirions qu'un corps simple ne diffère d'un autre que parce qu'il contient plus ou moins d'énergie intra-atomique. Si nous pouvions dépouiller un élément quelconque d'une quantité suffisante de l'énergie qu'il renferme, nous arriverions à le transformer entièrement.
Quant à l'origine, nécessairement hypothétique, des énergies condensées dans l'atome, nous la rechercherons dans un phénomène analogue à celui qu'invoquent les astronomes pour expliquer la formation du soleil et des énergies qu'il détient. Cette formation est pour eux la conséquence nécessaire de la condensation de la nébuleuse primitive. Si cette théorie est valable pour le système solaire, une explication analogue l'est également pour l'atome.
Les conceptions qui viennent d'être brièvement résumées n'ont nullement pour but de nier l'existence de la matière ainsi que la métaphysique l'a parfois tenté. Elles font simplement disparaître la dualité classique entre la matière et l'énergie. Ce sont deux choses identiques sous des aspects différents. Il n'y a pas de séparation entre la matière et l'énergie, puisque la matière est simplement une forme stable de l'énergie et rien d'autre.
Il serait sans doute possible à une intelligence supérieure de concevoir l'énergie sans substance, car rien ne prouve qu'elle doive avoir nécessairement unsupport, mais une telle conception ne nous est pas accessible. Nous ne comprenons les choses qu'en les faisant entrer dans le cadre habituel de nos pensées. L'essence de l'énergie étant inconnue, il est nécessaire de la matérialiser si on veut pouvoir raisonner sur elle. On arrive ainsi — mais uniquement pour les besoins des démonstrations — aux définitions suivantes:
L'éther et la matière représentent des entités de môme ordre. Les diverses formes de l'énergie : électricité, chaleur, lumière, matière, etc., en sont des manifestations. Elles ne diffèrent que par la nature et la stabilité des équilibres formés au sein de l'éther. C'est par ces manifestations que l'univers nous est connu.
Plus d'un physicien, l'illustre Faraday spécialement, avaient déjà essayé de faire disparaître la dualité établie entre la matière et l'énergie. Quelques philosophes le tentèrent également, en faisant remarquer que la matière ne nous était accessible que par l'intermédiaire des forces agissant sur nos sens. Mais tous les arguments de cet ordre étaient considérés avec raison comme d'une portée purement métaphysique. On leur objectait que jamais on n'avait pu transformer de la matière en énergie et qu'il fallait la seconde pour animer la première. Des principes scientifiques considérés comme très sûrs enseignaient que la matière était une sorte de réservoir inerte ne pouvant posséder d'autre énergie que celle qui lui a d'abord été transmise. Elle ne pouvait pas plus la créer qu'un réservoir ne crée le liquide qu'il contient.
Tout semblait donc bien montrer que la matière et l'énergie sont des choses irréductibles aussi indépendantes l'une de l'autre, que le poids l'est de la couleur. Ce n'était donc pas sans raison qu'on les considérait comme appartenant à deux mondes très différents.
Il y avait sans doute quelque témérité à reprendre une question qui semblait abandonnée pour toujours. Nous ne l'avons fait que parce que notre découverte de la dissociation universelle de la matière nous a enseigné que les atomes de tous les corps peuvent s'évanouir sans retour en se transformant en énergie.
La transformation de la matière en énergie se trouvant ainsi démontrée, il en résultait que l'antique dualité entre la force et la matière doit disparaître.
§ 3. — LES CONSÉQUENCES DU PRINCIPE DE L'ÉVANOUISSEMENT DE LA MATIÈRE.
Les faits résumés ci-dessus montrent que la matière n'est pas éternelle, qu'elle constitue un réservoir énorme de forces, et disparaît en se transformant en d'autres formes d'énergie avant de retourner à ce qui, pour nous, est le néant.
Nous pouvons donc dire que si la matière ne peut être créée elle peut au moins être détruite sans retour. A l'adage classique : rien ne se crée, rien ne se perd il faut substituer celui-ci : rien ne se crée mais tout se perd. Les éléments d'un corps qui brûle ou qu'on essaie d'anéantir par un moyen quelconque se transforment mais ils ne se perdent pas puisque la balance permet de constater que leur poids n'a pas changé. Les éléments des atomes qui se dissocient sont au contraire irrévocablement détruits. Ils ont perdu toutes les qualités de la matière y compris la plus fondamentale de toutes, la pesanteur. La balance ne les retrouve plus. Rien ne peut les ramener à l'état de matière. Ils se sont évanouis dans l'immensité de l'éther qui remplit l'espace et ne font plus partie de notre univers.
L'importance théorique de ces principes est considérable. A une époque où les idées que je défends n'étaient pas encore défendables, plusieurs savants avaient pris soin d'indiquer à quel point la doctrine séculaire de la conservation de la matière constituait un fondement scientifique nécessaire. C'est ainsi, par exemple, qu'Herbert Spencer dans un chapitre des Premiers principes intitulé L'Indestructibilitë de la matière, dont il fait une des colonnes de son système, déclare que « si l'on pouvait supposer que la matière peut devenir non existante, il serait nécessaire de confesser que la science et la philosophie sont impossibles». Cette assertion semblera évidemment excessive. La philosophie n'a jamais éprouvé de peine à s'adapter aux découvertes scientifiques nouvelles. Elle les suit, mais ne les précède pas.
Ce ne sont pas les philosophes seuls qui déclaraient impossible de toucher au dogme de l'indestruclibilité de la matière. Il y a quelques années à peine, le savant chimiste Naquet, alors, professeur à la Faculté de Médecine de Paris, écrivait :
« Nous n'avons jamais vu le retour du pondérable à l'impondérable. La chimie tout entière est même fondée sur cette loi qu'un tel retour n'a pas lieu, car s'il avait lieu, adieu les équations chimiques! »
Evidemment, si la transformation du pondérable en impondérable était rapide, il faudrait renoncer non seulement aux équations de la chimie mais encore à celles de la mécanique. Cependant, au point de vue pratique, aucune de ces équations n'est encore atteinte, parce que la destruction de la matière se fait d'une façon si lente qu'elle n'est pas perceptible par les moyens d'observation anciennement employés. Des pertes de poids inférieures au centième de milligramme étant insaisissables à la balance, les chimistes n'ont pas à en tenir compte.
L'intérêt pratique de la doctrine de l'évanouissement de la matière, par suite de sa transformation en énergie, n'apparaîtra que quand on trouvera le moyen de provoquer facilement une dissociation rapide des corps. Ce jour-là, une source presque indéfinie d'énergie étant gratuitement à la disposition de l'homme, le monde changera nécessairement de face. Mais nous n'en sommes pas encore là.
Actuellement, toutes ces questions n'ont qu'un intérêt scientifique pur et restent provisoirement aussi dépourvues d'applications que l'était l'électricité au temps de Volta. Cet intérêt scientifique est considérable, car les notions nouvelles prouvent que les seuls éléments de l'univers auxquels la science accordait la durée et la fixité ne sont, en réalité, ni fixes, ni durables.
Chacun sait qu'il est facile de dépouiller la matière de tous ses attributs, un seul excepté. La solidité, la forme, la couleur, les propriétés chimiques disparaissent facilement. Le corps le plus dur peut être transformé en une invisible vapeur. Mais, à travers tous ces changements, la masse des corps mesurée par leur poids reste invariable et se retrouve toujours. Cette invariabilité constituait le seul point fixe dans l'océan mobile des phénomènes. Elle permettait au chimiste, comme au physicien, de suivre la matière à travers ses perpétuelles transformations et c'est pourquoi ils la considéraient comme quelque chose de mobile, mais d'éternel.
C'est à cette propriété fondamentale de l'invariabilité de la masse qu'il fallait revenir toujours. Les philosophes et les savants avaient renoncé depuis longtemps à découvrir une définition exacte de la matière. L'invariabilité de la masse d'une quantité donnée de substance, c'est-à-dire son coefficient d'inertie, mesuré par son poids, demeurait le seul caractère irréductible de la matière.
En dehors de celle notion essentielle, tout ce que nous pouvions dire de la matière, c'est qu'elle constitue l'élément mystérieux et changeant dont sont formés les mondes et les êtres qui les habitent.
La permanence et, par conséquent, l'indestructibilité de la masse, que l'on constate à travers les changements de la matière étant le seul caractère par lequel on puisse saisir celle grande inconnue, son importance était nécessairement devenue prépondérante. C'est sur elle que les édifices de la chimie et de la mécanique ont éle péniblement bâtis.
A cette notion première, il avait fallu cependant en ajouter une seconde. La matière paraissant incapable par elle-même de sortir du repos, on avait recours pour l'animer à des causes diverses, d'essence inconnue, désignées sous le nom de forces. La physique en comptait plusieurs qu'elle séparait jadis nettement, mais une science plus avancée avait fini par les fusionner dans une grande entité, l'énergie, à laquelle le privilège de l'immortalité avait été également conféré.
Et c'est ainsi que, sur les débris des anciennes doctrines et après un siècle de persévérants efforts, s'étaient élevées deux puissances souveraines qui semblaient éternelles : la matière comme trame fondamentale des choses et l'énergie pour l'animer. Avec les équations qui les reliaient, la science moderne croyait pouvoir expliquer les phénomènes. Dans ses formules savantes, tous les secrets de l'Univers étaient enfermés. Les divinités des vieux âges étaient remplacées par des systèmes ingénieux d'équations différentielles.
Ce sont ces dogmes fondamentaux, bases de la science moderne que les recherches exposées dans cet ouvrage tendent à détruire. Si le principe de la conservation de l'énergie — qui n'est d'ailleurs qu'une généralisation hardie d'expériences faites sur des cas très simples — vient également à périr sous les coups qui déjà l'atteignent, il en faudra conclure que rien dans le monde n'est éternel. Les grandes divinités de la science seraient condamnées elles aussi à subir ce cycle invariable qui régit les choses : naître, grandir, décliner et mourir.
Mais si les recherches actuelles ébranlent les fondements méme de l'édifice de nos connaissances et, par voie de conséquence, toute notre conception de l'Univers, il s'en faut de beaucoup qu'elles nous révèlent les secrets de cet Univers. Elles nous montrent que le monde physique, qui semblait quelque chose de très simple, régi par un petit nombre de lois élémentaires, est au contraire d'une effrayante complexité. Malgré leur infinie petitesse, les atomes de tous les corps, ceux par exemple dont se composent les éléments du papier sur lequel sont écrites ces lignes, apparaissent maintenant comme de véritables systèmes planétaires, guidés dans leur vertigineuse vitesse par des puissances formidables dont nous ignorons totalement les lois.
Les voies nouvelles que les recherches récentes ouvrent aux investigations des chercheurs commencent à se dessiner à peine. C'est déjà beaucoup de savoir qu'elles existent et que la science a devant elle un monde merveilleux à explorer. |
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"L’homme sage n’est pas comme un vase ou un instrument qui n’a qu’un usage ; il est apte à tout." "Appliquez-vous à garder en toute chose le juste milieu." Confucius
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